La construction de l’hôtel Royal Picardy a été réalisée au cours du premier mandat de maire de Monsieur Léon SOUCARET, homme riche et très entreprenant qui prit les rênes de la ville du Touquet Paris-Plage en 1925.
Cette ville était administrée jusqu’alors par Monsieur Fernand RECOUSSINE Directeur général des Grands établissements comprenant les deux plus importants hôtels de la station, l’Hôtel Hermitage et l’Atlantic Hôtel, exerçant la fonction de maire depuis 1912.
Durant les mandats successifs de Mr. Fernand RECOUSSINE, d’importants travaux d’aménagement sont réalisés sur la commune telle que l’édification de la digue de mer inaugurée le 23 juillet 1922. Depuis 1904, de nombreux hôtels ont été construits ou agrandis : l’hôtel des Anglais, l’hôtel du Golf, les hôtels Régina, l’Atlantic, l’Hermitage et en 1924 l’hôtel Westminster dont on admire encore aujourd’hui la qualité architecturale. Une clientèle internationale fortunée, en majorité Britannique, fréquente la station balnéaire qui s’est dotée d’un golf, d’une société hippique, d’un "champ des sports" et de 2 casinos…
L’année 1925 voit donc l’installation de Mr. Léon SOUCARET comme maire du Touquet Paris-Plage, fonction qu’il assumera jusqu’à son décès survenu le 22 décembre 1933. Né à Pointe-à-Pitre le 10 Octobre 1867, Mr. SOUCARET vint en invité une première fois à Paris-Plage vers 1900, encore quartier excentré de Cucq. Curieux de tout, architecture, automobiles, aéroplanes, en 1910, il fit son baptême de l’air sur un biplan avec René Caudron.
Homme d’affaires, il prend la direction de la Société Générale du Touquet Paris-Plage, « Immobilière d’exploitation », société ayant notamment pour objet le lotissement des terrains sur la commune. Son siège est situé dans la villa « La Chaterie », construite en 1920 sur les plans de l'architecte Arsène BICAL, lequel dessinera également les plans de la villa « La Hutte » construite la même année pour Mr. SOUCARET.
La vente des terrains lotis remportant un grand succès, de nombreuses villas de caractère sont bientôt construites, tandis que la ville elle-même procède à de nouvelles réalisations: l'hôtel des Postes (1927- architecte Jean BOISSEL), le marché couvert (1928-architecte Henri-Léon BLOCH), la piscine marine (1931-architecte André BERARD), l’hôtel de ville (1931-architectes Louis DEBROWER et Pierre DROBECQ), …. Pour assurer le financement de ces réalisations, la commune a le privilège de bénéficier du reversement de 12% de la recette des jeux de casinos (en 1927, cette recette arrive en deuxième position après celle des casinos de Deauville avec un montant de 45 millions de francs, ce montant atteignant même 58 millions de francs en 1928).
De plus, en 1928, le conseil municipal vote un emprunt de 35 millions de francs pour compléter le financement des réalisations en cours. L’initiation du projet En 1928, sous l’impulsion de Mr. SOUCARET, afin de donner encore plus de lustre à la station, peut être aussi afin de supplanter l’Hôtel Hermitage, hôtel de luxe de 200 chambres qui jouit d’une réputation très flatteuse due à ses prestations qui sont unanimement appréciées, un projet d’un nouvel hôtel de luxe d’une capacité de 500 chambres est mis à l’étude afin d’accueillir le « gotha mondain de l’âge d’or ».
Les architectes régionaux Pierre DROBECQ et son associé Louis DEBROUWER sont chargés du projet. Ce sera l’hôtel ROYAL PICARDY, du nom du 1er régiment d’infanterie de ligne de l’armée de Louis XIV. La devise de l’hôtel gravée sur le fronton surmontant la porte d’entrée sera celle de Louis XIV : NEC PLURIBUS IMPAR dont la traduction pourrait être « au dessus de tous ».
Après examen des esquisses d’avant-projet des deux architectes, la présentation des premiers plans en octobre 1928, la prise en compte des modifications, on procéda à l’engagement du bureau d’Etudes Bétons Armés de François HENNEBIQUE, de l'entreprise armentiéroise Maurice DEBOSQUE spécialisée dans la reconstruction de grands ensembles et de monuments après la Grande Guerre de 1914-1918, et pour les extérieurs de l’édifice l’entreprise SAINRAPT et BRICE.
Le chantier de construction débute le 20 novembre 1928, son budget s’élève à 120 millions de francs soit 1 million de livres sterlings de l’époque. Cet hôtel conçu pour stupéfier même les plus blasés est situé dans un parc privé de 6 hectares, se présente extérieurement de la manière suivante : En façade de l’édifice (en regard de la place de l’Hermitage) La façade principale, longue de 111 mètres et haute de 32 mètres comporte deux rotondes latérales de 27 mètres de diamètre ; elle se caractérise par une architecture composite mélangeant les styles Tudor (gothique anglo-normand) et flamand.
Une rampe en fer à cheval permet aux véhicules et voitures de place l’accès direct de la clientèle au porche d’entrée, qui se situe à un niveau de 13,15 mètres au dessus de la mer. Les grandes baies vitrées du rez-de-chaussée correspondent au grand hall de 7 mètres de haut, avec à gauche le restaurant, et à droite les salons de réception se terminant par le bar dans la rotonde. Chaque rotonde est éclairée par un puits de lumière recouvert à son sommet par une verrière hexagonale de 11 mètres de diamètre.
Par le milieu, dans l’enfilade du porche principal, et la traversée de la grande galerie, viennent de part et d’autre les grands ascenseurs, à gauche le bureau de la direction, les guichets de réception, la salle des coffres, à l’opposé sur la droite viennent les courriers, la conciergerie et le standard téléphonique. Dans le grand hall, sur les plafonds des travées de côté, figurent les blasons des grandes universités Anglaises, et sur les murs des fresques créées par Jeanne Thil artiste peintre de renom, retraçant l’épopée du régiment « Royal Picardy ».
Partout dans l’ensemble de l’édifice un tapis dont les couleurs et motifs ont été spécialement réalisés pour l’hôtel, dans les galeries latérales une étendue de parquet est réservée pour les bals et les thés dansants. La construction des voûtes qui sont nombreuses a été réalisée par J. A. Fabre le spécialiste de l’époque. Le salon de correspondance sur la droite du grand hall, possède une cheminée grandiose de style gothique bavarois. Les fenêtres de la façade se répartissent ensuite sur 7 étages où se trouvent les suites royales, les grands appartements et les suites. Chaque étage a une surface moyenne au sol de 2060 m2.
Traversant du porche d’entrée vers la rotonde centrale ; Du porche central, passée l’entrée en ogive de la porte principale, on est impressionné par la grandeur de la grande galerie transversale et un majestueux lustre en fer forgé de style gothique. Traversant la grande galerie, passés les différents guichets, on accède à la rotonde centrale, dont le grand escalier majestueux permet l’accès de chaque côté aux deux ailes arrières en « V » et aux étages supérieurs.
Cette rotonde centrale d’une hauteur de 40 mètres comporte 9 étages, elle permet la desserte des deux ailes arrière, d’une longueur chacune de 58 mètres et de 26 mètres de haut. Deux galeries symétriques de plain pied, relient la rotonde centrale aux deux rotondes latérales du bâtiment central de la façade. La galerie de gauche permet le passage des cuisines du sous sol au restaurant, elle inclut un local de service, la verrerie, les vestiaires et des toilettes. La galerie de droite comprend l’office du bar, les vestiaires, des toilettes, et un salon de coiffure.
L’aile de droite comporte essentiellement des chambres et une salle de jeu au rez-de-chaussée. L’aile de gauche comporte des chambres, et au rez-de-chaussée une salle de culture physique, des salons de massage, un hammam, un bar et la piscine de 25x10 mètres à eau traitée. Le chantier de construction a nécessité 1200 ouvriers de 87 corps de métiers différents, 54 000 tonnes de terre et matériaux à déplacer, 6000 m2 de marbre. Dans les premiers mois du chantier, on coulait chaque jour 140 tonnes de béton. Le bâtiment fut édifié en 258 jours grâce notamment au travail en poste de 3 x 8 heures cela même pendant les week-ends, et à l’utilisation de bétons armés pour les structures de charpentes.
Les 3 derniers étages du bâtiment ne seront pas terminés le jour de l’inauguration. L’hôtel est prévu pour une capacité totale de 500 chambres toutes différentes incluant : 50 appartements de 5 à 10 pièces dont certains avec bassin piscine, 120 salons, golf miniature, terrain de squash, téléphone dans toutes les chambres et salons, garage pour 100 voitures. Bien que la construction ait été interrompue deux fois, pour cause d’intempéries et de grève des ouvriers, une première centaine de chambres fut terminée dès l'été 1929.
L’inauguration officielle eut lieu le 12 Août 1929. Cet hôtel est le symbole des « années folles », surnommé par les Britanniques " the most beautiful hôtel in the world ". Chaque grand appartement situé sur la façade place de l’Hermitage comporte une chambre de maître, un somptueux salon, une salle de bain toute en mosaïque avec descente dans un bassin-piscine, des robinets style dauphin en plaqué-or, un office pour le service du repas dans la chambre même, une chambre de dame de compagnie ou de valet de chambre, toutes les pièces sont tendues de cretonne glacée.
Le service était assuré par 300 employés, dont 29 valets pour les clients qui arrivent sans domestique, le restaurant compte 15 maîtres d’hôtels et 45 chefs de rangs et commis. On raconte que la première année, des employées mettaient des rideaux aux fenêtres vides et allumaient une lampe le soir dans les chambres non encore achevées, afin de faire croire que l'hôtel affichait déjà complet ! A la fin de l’année 1930, soit à peine une année après son ouverture, le ROYAL PICARDY est en difficulté financière. Le bilan de l’exercice est déficitaire. De nombreux fournisseurs ne sont pas payés et font faillite. L’hôtel est mis en vente en 1931, mais ne trouve pas preneur, après quelques mois, il apparaît que la seule solution viable est de rouvrir afin d’éponger le passif.
Avec l’euphorie de l’après-crise, et le retour de la riche clientèle internationale la santé financière du Royal Picardy va se rétablir. Les années 1933 à 1938 sont les plus fastes pour l’hôtellerie de prestige du Touquet qui est fréquentée par le prince de Galles, des princes et princesses, des maharadjas, le roi Farouk et sa suite, et bien d’autres personnages fortunés.
Après la saison de 1938, la situation politique internationale s’aggrave, la crise de Munich survient, la fréquentation de l’hôtel s’effondre. La guerre est déclarée le 3 septembre 1939, puis les premières troupes Allemandes arrivent au Touquet le 23 mai 1940. Le Royal Picardy est occupé, l’hôtel devient pendant quelques mois le quartier général de la Wehrmacht, il est bombardé par deux fois par la R.A.F. en 1941 et 1944, et subit de grands dégâts : l’intérieur de la rotonde droite a été soufflé, la toiture de l’aile arrière droite en « V » est détruite, toute la partie arrière droite a été endommagée ; cependant, les structures en béton armé ont parfaitement résistées.
Durant la guerre, le Royal Picardy a servi d’entrepôt de munitions, de casernements ; des blockhaus de défense y ont été construits ; une grande partie des chambres ont été saccagées et le mobilier pillé.
En 1949, intervient une nouvelle et dernière réouverture de l’hôtel avec 86 chambres proposées à la clientèle, ce qui entraine l’embauche de 90 employés. Mais les temps sont révolus. Le Touquet durement touché ne sera plus fréquenté par la clientèle fortunée qui préférera désormais le climat de la Côte d’Azur et ses palaces. Le 7 Septembre 1951 les portes « du plus bel hôtel du Monde » se ferment, les derniers clients quittent l’établissement et la directrice en poste, Madame Louise Mainardi, quittera Le Touquet pour toujours. Dans les années 1960, combien de jeunes Touquettois et Touquettoises ont investi les lieux, faisant du trampoline sur les matelas stockés dans la piscine, aux grands cris des gardiens Monsieur Courly et Madame Rose…
L’hôtel se dresse blessé, silencieux, témoin de la démesure d’une époque révolue. Racheté par la ville en 1967, il est dynamité en 1968. A son emplacement, se trouve aujourd’hui un lycée hôtelier ! De l’unité qui constituait la place de l’Hermitage, l’hôtel qui lui a donné son nom a été transformé en appartements, il a perdu tous ses bâtiments de service. Face à lui, le Palais de l’Europe (anciennement casino de la forêt, 1er hôtel au Touquet, et château Daloz) a perdu à la fin de la dernière guerre le retour de son aile droite, l’entrée principale et son grand restaurant bordant la villa « la Chaterie ». Plus loin, après le prolongement des boutiques construites en 1927 sur les plans de l'architecte Léon Hoyez, le Westminster Hôtel construit en 1924 sur les plans de l'architecte Auguste Bluysen est le seul grand rescapé de l’hôtellerie de l’âge d’or du Touquet Paris-Plage.